Ca a surpris un peu les premiers à qui j'en ai parlé, alors
j'insiste... C'est avec joie que je vous annonce la mort de l'e-mail !
L'entreprise va enfin voir cicatriser cette plaie de 15 ans. La
convalescence se comptera peut-être en années, mais l'issue ne fait pas
de doute à mes yeux.
Le mail mourra simplement victime de sa boulimie fonctionnelle. Prenons une
petite image pour l'illustrer. Vous voyez l'outil miracle
multi-fonctions vendu juste à côté des caisses de Castorama ? oui,
celui qui fait tout. Quiconque bricole un peu le dimanche en a acheté
au moins un dans sa vie, avant de le regretter. Il fait effectivement
tout, mais ne fait rien bien. Ca dépanne quand on n'a pas mieux, mais
ça n'a rien à voir avec une vraie caisse à outils.
Et bien l'e-mail, c'est pour moi exactement ce faux outil magique.
Réunion, chat, base documentaire, agenda partagé, liste de tâches,
parapluie de responsabilité, compte-rendus, passage de connaissances,
carnet d'adresses, sans parler du foyer infectieux potentiel. Le plus
dangereux est que tout le monde est persuadé que c'est une caisse à
outils de pro et qu'ils utilisent le top du top.
Je m'excuse par avance auprès des indépendants et de tous ceux qui n'ont
pas trop l'habitude du fonctionnement d'une entreprise de l'intérieur. Tout ça leur
paraitra sans doute d'un bon sens accablant. Les autres seront
peut-être un peu plus sceptiques.
Détaillons pour commencer les services que l'on pense qu'il rend...
"Bon, alors on décide quoi ?"
Le
mail est comme une réunion, mais en moins bien. Au bout de dix
allers-retours où on ne sait jamais qui a lu quoi, on finit d'ailleurs
souvent par faire cette réunion. Attention, je ne parle pas de la
réunion de 20 personnes dont seulement la moitié sont concernées, je
parle de la réunion éclair sans avoir besoin de réserver de salle, où
on fait le point et on décide.
Le bon outil, c'est une table et des chaises, une visioconférence, ou encore conférence téléphonique.
"On descend déjeuner ?" "La réunion est décalée d'une demi heure." "Rdv à 14h45 à la sortie du garage"
Le mail est comme le chat, mais en moins bien. Sauf pour ceux qui
aiment conserver précieusement tous ces messages stratégiques.
Le bon outil, c'est MSN, Communicator, Twitter, etc.
"C'est bien la 2.1 la dernière version de la présentation ? tu me la renvoies pour être sur ?"
Le mail est comme une base documentaire, mais en moins bien. Pas de
gestion des versions, pas de travail en équipe. Combien de temps perdu
à rechercher le bon document ? combien de mails correctifs au client
parce que la version envoyée n'est pas la dernière ? Combien de
licences de boites mail surdimensionnées achetées à Microsoft ?
Le bon outil, ce sont les gestionnaires de contenu (intranet ou
extranet). Des outils ergonomiques qui permettent de partager des
documents en interne ou même avec ses clients. On peut s'abonner en un
clic au nouveautés, le tout est sécurisé, un vrai bonheur.
Le mail est comme un outil de gestion de projet, mais en moins
bien. Agenda des réunions, plannings, plans de charge, compte-rendus, c'est quand même plus pratique quand tout ça n'est pas dispersé dans une cinquantaine de mails périmés.
Le bon outil, c'est à nouveau l'intranet.
"OK je revois la présentation, mais tu m'envoies un mail pour que j'y pense."
Le
mail est comme un bloc de post-its, mais en moins bien. Réfléchissez-y : ce n'est pas
parce que c'est intelligent que ma boite mail me sert de liste de
tâches en attente, c'est parce qu'elle est ouverte sous mes yeux en
permanence. Cela en fait-il un outil efficace ?
Le bon outil, c'est un plan d'actions partagé, toujours sur un intranet (qui, pour quand, avec qui, etc)
"Mais si, tu savais, tu étais même en copie".
Le
mail est comme un parapluie, mais en moins bien. Si un responsable est
en copie d'un mail, le silence dudit responsable vaut souvent validation.
Je regrette de ne pas avoir de données chiffrées sur la proportion des
mails non lus, en particulier en haut de la hiérarchie. Je n'ai que le
souvenir de directeurs de services ou de projets me demandant
instamment de rajouter IMPORTANT dans l'objet des mails que je leur
envoyais, pour qu'ils les ouvrent.
Le bon outil, c'est le face à face ou le téléphone, parce que
finalement le plus important est que les décisions soient vraiment
partagées, et non qu'elles soient écrites dans un mail pour si jamais
plus tard on me le reproche. Le bon outil, c'est aussi les fils d'information RSS venant d'un intranet, qui font que je suis au courant de ce qui
m'intéresse, et pas pollué toute la journée.
"Désolé du retard de cette réponse, j'avais perdu votre e-mail"
La
personne qui connait le mieux mes coordonnées à un moment donné, c'est
moi. Pourquoi tous ceux qui travaillent avec moi devraient-ils se
fatiguer à recopier mes coordonnées dans leur carnet d'adresse, à part
pour le plaisir de se tromper et de me perdre de vue au bout d'un an ?
Le bon outil, ce sont les réseaux sociaux (internes ou externes), Linkedin en particulier.
"Merci de me désinscrire de votre mailing-list. Ce mail est la troisième relance"
Ce
qui m'intéresse, c'est moi qui suis le mieux placé pour le connaitre.
Mon entourage dispose d'outils pour me recommander tel ou tel contenu
intéressant, je peux m'y abonner, et même me désabonner.
Le bon outil, ce sont les sites de partage de favoris (del.icio.us, Furl), et les fils d'informations RSS.
"Celle-là est bien bonne..."
Partager
les meilleures vidéos, c'est sympa, et ce n'est pas parce que je suis
au boulot que je dois me couper du monde. Mais finalement, mes 50
copains ne sont pas une source si impressionnante de bonnes blagues.
Autant être 100 millions...
Le bon outil, c'est youtube, facebook, etc
"Voilà, tu reprends mon bureau, mon téléphone, mon PC ; si tu as un doute, tu as tout dans ma boite mail"
Le mail est comme un mois de recouvrement avec son prédécesseur, mais
en moins bien. Pas besoin d'avoir passé une demi-journée à naviguer
dans la boite mail de son précédesseur pour comprendre que le mail
n'est pas un
outil de transfert de connaissances.
Le
bon outil, c'est la communauté de pratique qui permet de partager les
infos clefs, c'est un intranet de gestion de projet, c'est aussi du
management réaliste : arrêter de balancer le bébé par dessus la
barrière au dernier moment.
N'oublions pas les services du mail dont on se passerait bien...
"VIAGRA.com" "urgent : forward to your friends !" "deletemycomputer.exe"
Sans commentaires. Combien d'heures perdues en pathétiques "chaines de
la vie" forwardées depuis des mois, virus plus vicieux les uns que les
autres et publicités foireuses.
Terminons avec ce qu'il pourrait faire et qu'il ne fait même pas dans la plupart des entreprises...
Il pourrait au moins être organisé en conversations comme gmail, mais Microsoft ne le fait pas.
Il pourrait au moins proposer une classification pratique : pour info / pour action / pour validation.
Bref,
balayons tous ces mauvais usages, il restera alors peut-être quelques
usages secondaires, très bien remplis par les messageries des réseaux
sociaux. Ceux-ci grignotent d'ailleurs bien le marché : après seulement
4 mois d'utilisation, un bon tiers de mes mails me sont envoyés via mes
réseaux sociaux, la moitié pour Flo. Ca fait double emploi, et même dans la sphère privée
les réseaux sociaux sont une caisse à outils autrement plus pratique.
Bon, ça y est, vous y croyez, l'e-mail est mort. Mais alors pourquoi donc résiste-t-il autant, surtout en entreprise ?
Peut-être parce que le mail a introduit une distance physique assez pratique quand on ne connait pas trop ses collègues ?
Peut-être parce que, comme aux grandes heures de l'URSS, c'est
sécurisant d'avoir un écrit tamponné avant de risquer quoi que ce soit ?
Peut-être parce que l'entreprise ignore superbement toutes ces technologies web 2.0, un peu trop participatives à son gout ?
Peut-être simplement parce qu'on a encore un Personal Computer devant
soi, et toujours pas un Social Computer ? qu'y a-t-il de vraiment
personnel sur mon ordinateur du boulot ? En fond d'écran, j'ai une
belle photo de mes dernières vacances. Ne serait-il pas plus utile
d'avoir une sorte de tableau de bord contenant tous mes abonnements,
mes messages instantanés, les messages des membres de mes réseaux, ma
liste de tâches du moment, un accès aux dossiers partagés des projets
que je suis ?
On peut bien sûr aller plus loin : à quoi me sert le disque dur de mon
ordinateur professionnel ? je crois bien n'en avoir jamais eu de réelle
utilité en 5 ans, à part pour oublier de partager des documents
importants ! Mais bon, ce sera pour un autre message...
Je ne concède qu'un point, c'est que parmi tous les acteurs du moment aucun n'a vraiment sorti LE tableau de bord bien pratique et ergonomique. Ceci étant, c'est à mon avis une question de mois, je suis bien déçu d'arriver si tard !
Y aurait-il encore des sceptiques ?...