Ce mythe-ci pourrait aussi se retrouver dans la catégorie des nombreux "Je me lancerais bien, mais ... j'attends le bon moment".
C'est faux ! Beaucoup attendent en fait le meilleur moment. Et ce meilleur moment n'existe pas. Des bons moments, en revanche, il y en a pas mal...
Coupons déjà le sujet en deux, il y a le bon moment pour vous, et le bon moment pour le projet. Aujourd'hui on parlera du bon moment pour vous.
Rêvons-le, ce bon moment... ce serait celui où je viendrais de toucher un gros chèque de démission ( oui, pas très envie de me faire licencier) tout en ayant droit aux assedic. Evidemment je n'aurais pas d'emprunt à rembourser, ma femme gagnerait un salaire confortable sans penser une seule seconde aux vilaines joies de la maternité, et bien sûr, une cigogne aurait déposé la veille dans ma boite aux lettres le business plan de l'année dans un secteur que je connaitrais sur le bout des doigts...
Il se trouve que je suis quasiment à l'opposé de ce rêve. Voici donc ce que je réponds depuis un an quand on se fait du souci pour moi.
La crise, c'est (aussi) le bon moment.
C'est le bon moment parce que les seuls optimistes quand tout va mal, ce sont les entrepreneurs. Vous préférez être dans une boite morose car contrainte de se serrer la ceinture à coups de fouet, ou en train de travailler sur votre projet, la ceinture peut-être aussi serrée mais de votre plein gré et le sourire aux lèvres ?
C'est le bon moment parce que quantité d'excellentes ressources sont disponibles sur le marché et prêts à réinventer leur vie professionnelle.
Le changement est d'ailleurs très souvent à l'initiative de l'entreprise : c'est évident quand c'est radical (licenciements économiques/restructurations), ça l'est moins pour la foule d'entreprises dont le réflexe anti-crise est simplement de se rigidifier, par exemple d'adopter subitement des postures de management des coûts extrémistes.
Beaucoup d'entreprises poussent donc sans le vouloir leurs salariés à refaire le point sur la subtile "équation du bonheur professionnel"
Pour peu que les facteurs de droite marquent le pas, ceux de gauche poussent tout droit à l'entrepreneuriat.
La réalité est donc là : le niveau de vos associés potentiels est bien plus élevé en période de crise. Je l'ai directement constaté dans mes recherches d'associé et dans plusieurs lancements autour de moi.
C'est enfin le bon moment parce que c'est évidemment plus exigeant. En période normale, votre projet peut survivre/agoniser même si il n'est pas très affuté, vous trouverez toujours un investisseur ou un client de temps en temps. En période difficile, vous passerez plus de temps à fouiller votre projet, parce que vos interlocuteurs ( associés, financiers) seront beaucoup plus difficiles à convaincre. Vous serez donc obligé de lancer un projet blindé de bonnes idées. Sincèrement, voyez-le comme un avantage salutaire et pas comme un inconvénient ! ça ne garantit pas que votre projet va marcher, mais ça augmente nettement vos chances de réussite...
L'arrivée d'un enfant, c'est (aussi) le bon moment.
C'est le bon moment pour donner du poids au facteur VIE PRIVEE dans votre équation du bonheur professionnel. Ma femme a vécu un début de grossesse très difficile, je suis bien content d'avoir eu suffisamment de souplesse et de liberté dans mon boulot pour pouvoir être là et faire en sorte qu'elle ne soit pas hospitalisée.
Quand mon enfant sera né, je serai bien content de pouvoir faire une pause avec lui après 2h de boulot.
Ce n'est pas le bon moment en revanche pour se torturer la tête financièrement pour savoir si c'est bien 'raisonnable' de faire tout ça en même temps. Votre loyer vous coutera bien plus cher que votre enfant pendant un bon moment...
Un licenciement, c'est (aussi) le bon moment.
Un coup de pied au cul, ce n'est jamais agréable, mais ça a un gros avantage : c'est plein d'énergie ! Reste à savoir l'utiliser.
Gros bémol cependant, c'est le bon moment si on a pris le temps depuis longtemps de descendre de son petit nuage intouchable pour se dire "tiens donc, et qu'est-ce que je ferais si jamais j'étais licencié demain ?"
Aujourd'hui, on ne peut pas dire que ce soit un réflexe chez les salariés, particulièrement chez les cadres, et tout spécifiquement chez ceux issus des belles et grandes écoles.
Je rappelle à tout hasard que dans CDI, c'est un I comme indéterminé, et pas illimité. 3 mois de préavis et un chèque de 6 mois de salaire, ça peut arriver à tout le monde. Et vous, vous ferez quoi le lendemain ?
Les études, c'est (aussi) le bon moment.
Evidemment, vous êtes jeune et vous n'avez donc pas d'expérience, mais c'est aussi une des rares périodes où vous n'avez rien à perdre, et où votre 'capital sympathie' est énorme.
Si vous pouvez, lancez quand vous êtes encore étudiant, c'est à mon avis beaucoup mieux que juste après :
- a priori vous avez déjà prévu de quoi manger avant de commencer vos études. Faites comme prévu, c'est un souci de moins au jour le jour.
- ce qui est frustrant en commençant juste après, c'est de voir tous ses copains toucher des vrais salaires alors que vous continuez à manger des pâtes. Lancez-vous pendant qu'ils sont au même régime que vous !
- Je parle plutôt pour les grandes écoles que je connais mieux : il y a des dispositifs d'accompagnement très puissants, directement disponibles sur les campus.
- vous avez du temps ! Entre organiser la soirée de l'année et créer une boite, si j'avais su...
Votre inexpérience sur un marché, c'est (aussi) le bon moment.
Il fut un temps où c'était une qualité d'arriver sur un marché sans connaitre toutes les ficelles du métier, justement parce qu'on pouvait profiter d'un regard neuf et de façons de faire d'autres horizons. Les RH semblent l'avoir oublié, pas les entrepreneurs.
Votre inexpérience est une force si vous savez en conserver le bon sens et la préserver des préjugés du secteur. Evidemment, regardez les vieux baroudeurs du secteur pour analyser leurs méthodes, mais profitez de votre recul de novice avant de les imiter. Il y a surement moyen de faire mieux, différemment, de changer la cible, etc.
Ex : Apple ne connaissait rien à la musique, les majors tenaient le marché depuis des décennies sur le modèle de la vente d'albums. Apple s'est mis à vendre des titres à l'unité, et a tué le marché.
Le bon moment n'est pas rationnel
Je croise régulièrement des salariés qui se demandent justement si c'est le bon moment. La plupart du temps l'analyse se veut rationnelle : ça ne sert à rien ! Si vous voulez comparer de façon rationnelle une situation stable et sécuritaire -même avec des défauts- à un projet à risque encore très théorique, vous ne prendrez jamais la décision de vous lancer vraiment.
Il y a forcément à un moment un acte de foi, une impulsion, un petit grain de folie qui n'aura rien de rationnel dans votre décision. Et qui ne rentrera pas dans votre tableur excel avec des + et des - pour savoir si c'est le bon moment.
En pleine sécurité, ce n'est jamais le bon moment
Je n'ai volontairement pas mis la sécurité dans mon équation du bonheur. Honnêtement, quelle est la réalité de cette sécurité ( cf mon laius plus haut sur le CDI) ? et surtout que vaut-elle à vos yeux ? que coute-t-elle ?
Petites remarques en passant.
Le boulot des RH, ce n'est pas seulement de vous recruter, c'est de vous faire rester.
Par exemple, payer des bonus tous les six mois, c'est leur stratégie la plus simple. Avant le paiement, on reste pour toucher le bonus ; après le paiement, on se demande si c'est bien raisonnable de perdre un tel avantage.
Ou encore, malheureusement, quasiment aucune boite ne vous vantera les réussites entrepreneuriales de ses anciens employés. NB hors sujet : Dommage, les candidats à la fibre entrepreneuriale ne sont dans l'ensemble pas les plus mauvais, et ce serait à mon avis un argument massue.
Le bon moment, c'est un ou deux ans avant.
J'ai volontairement cité des exemples de 'bons moments' contre-intuitifs, mais ce sont bien ceux auxquels je suis confronté.
Ce qu'il faut à mon avis en retenir, c'est qu'il faut d'abord se mettre dans l'état d'esprit "je me lancerai un jour" et ensuite être en permanence à l'affût d'un moment pas trop mauvais pour le faire.
Ca veut dire :
- se poser régulièrement la question " tiens, et si je plaquais tout demain pour chercher calmement un projet, comment je ferais ?"
- être aussi clair que possible avec sa hiérarchie pour que le départ se fasse dans les meilleures conditions le moment venu, sans le syndrome classique de trahison. Ca peut être dès le recrutement, ça marche !
- se préparer financièrement (j'y reviens toujours mais c'est vraiment le nerf de la guerre) le plus tôt possible. Montant du loyer, budget des vacances, etc.