A nouveau une très bonne session du Founder Institute Paris, sur le thème de la road map, disons "plan de développement" pour ceux à qui ça parle mieux.
Quand mon produit est-il prêt à être lancé ? Que contiendra mon produit demain ? quelle stratégie pour toucher de nouveaux clients ? conserver les anciens ? comment contrer mes concurrents ? dans quel pays lancer mon produit ? etc
Trois intervenants français à succès : une boite de jeux sur Facebook basée à New York, et une superbe solution de data mining basée à San Francisco, et le boss de LaCie.
Les témoignages de nos mentors n'étaient vraiment pas clairs sur le concept de "roadmap". A les écouter :
- la road map est indispensable, car elle donne à la fois la direction et le chemin
- mais il est déjà arrivé qu'elle leur coûte très cher, en temps et en argent
- et il faut
savoir la changer tous les jours...
Je n'ai pas eu le temps d'approfondir plus avec eux sur ce paradoxe, et je ne trouve que maintenant les mots pour le dire : je n'aime pas vraiment ce concept de road map ! Ce sera l'objet de ce premier post.
Tout d'abord, il donne à mon avis une impression de sécurité et de maitrise des événements qui me semble complètement fausse.
Les entrepreneurs qui parlent de road map semblent se voir plutot comme des voyageurs qui prévoient un trip hardcore... en 4x4. Il y aura des imprévus ( panne, etc), mais dans l'ensemble ils pensent pouvoir s'y préparer, il pensent même les voir venir.
Poussons la métaphore un peu plus loin : ils sont relativement protégés de leur environnement, leur voiture leur donne une impression de sécurité énorme quand ils sont dans un mauvais pas. Au pire ils trouveront un mécano, d'où l'impression qu'avec de l'argent, ils se tireront de quasiment toutes les situations.
Je pense plutôt que l'entrepreneur voyage à pied, et que proportionnellement, il n'a généralement en poche que de quoi faire des sauts de puce en bus, disons s'acheter un vélo si il est vraiment riche.
Il est donc beaucoup plus vulnérable, face à la fatigue, aux maladies, aux reliefs, aux autres hommes, aux animaux, etc. Même si il peut fixer à l'avance des lignes directrices, il devra les faire évoluer quasiment tous les jours face à des événements dans l'ensemble imprévisibles (lancement d'un concurrent, rencontre de LA bonne personne, innovation technologique, etc)
C'est très vrai pour le bon entrepreneur, qui a des
ambitions dépassant largement ses moyens.
C'est très vrai pour les entrepreneurs en lancement, mais pas uniquement. On a eu une belle illustration vécue du boss de LaCie : un an à peaufiner une roadmap, pour que le principal client visé dépose le bilan le lendemain du lancement du produit.
Second biais de la "road map" : une fois que c'est écrit, c'est plus difficile à remettre en question.
Les sociologues connaissent bien ce phénomène : une fois qu'une décision a été prise, qui plus est une fois qu'un peu d'argent a été dépensé, un décideur aura besoin d'arguments 10 fois plus lourds pour faire marche arrière. Exemple type : on voit bien que de gros doutes apparaissent, mais on a déjà dépensé 10 000 euros dans cette direction qui devrait nous en couté 100 000 en tout, on ne va pas gâcher ce qu'on a déjà dépensé... Sauf que souvent ça finit par couter 500 000€, toujours avec les mêmes doutes.
Regardez dans les grands groupes industriels : ce n'est quasiment jamais le pdg qui a initié un gouffre financier qui aura le courage de dire "on arrête les frais", même si tout le monde le pense. C'est son successeur.
C'est pareil pour la road map. Au mieux elle donne la direction et le trajet à l'instant T, mais il faut accepter humblement qu'elle soit a priori périmée dès l'instant T+1.
La solution telle que je la vois, surtout dans un projet web, c'est sans doute :
- d'avoir plusieurs road maps, c'est-à-dire avant tout un éventail de possibilités,
- de rester très léger sur ses appuis, c'est à dire de ne pas jouer à quitte ou double ( ceux qui vous disent le contraire font partie des rares qui ont joué ET gagné. Tous ceux qui ont perdu n'ont plus de voix pour le dire)
- d'expérimenter en permanence, à moindre coût, peut-être même consacrer 10% du temps exclusivement à explorer de
nouvelles voies.
Plus facile à dire qu'à faire quand on a peu d'argent, d'autant plus que la stratégie communément admise est de mettre le paquet sur un sujet.
Mais c'est ce que font les boites les plus résistantes à long terme ( ma boite favorite Semco excelle dans ce domaine).
En d'autres termes, poussez "à la main" dans toutes les directions, et avancez là où c'est le plus facile.
Pour info, Google n'a pas fait autrement. Gmail est un projet "bac à sable" qui a donné naissance de façon imprévisible à AdSense et au modèle économique de Google. Créer des bacs à sable, c'est ça leur road map.
Je finis par en conclure que la road map telle que tout le monde l'entend ressemble pas mal au business plan : c'est la phase de construction qui compte, pas le résultat ( que de toute façon vous ne réaliserez jamais). Pour faire une road map, vous allez vous poser des questions, nécessairement LES bonnes questions, et c'est ça qui compte.
Petite parenthèse en passant : "oui mais si il n'y a pas de direction claire on ne saura pas motiver nos équipes". C'est faux, la meilleure motivation d'une équipe, c'est de partager une vision, pas un objectif de parts de marchés ou le lancement d'une fonctionnalité.
Malgré ce paradoxe un peu flou sur la road map, nos mentors nous ont abreuvés de très bons conseils sur le développement d'une boite, du stratégique à l'opérationnel. Next post...
J'aime bien ta métaphore du voyageur, pour ma part la road map exprime clairement (pour soi mais surtout pour les autres) dans quelle direction on veut aller, et les principales étapes du voyage ... Après le chemin est forcément parsemé d'embûches, et on devra alors s'adapter, reculer, patienter, réorganiser des étapes...
Je ne vois pas la roadmap comme à l'origine d'une escalade d'engagements. Ce n'est qu'un prévisionnel qui clarifie une vision à un moment donné mais pour moi il ne faut pas que cela dicte à tout prix les décisions au cours du projet et de son lancement. Elle va nous dire d'attendre le bus à tel endroit pour telle direction, mais après une heure d'attente sous la pluie il ne faut pas hésiter à abandonner et prendre un taxi.
D'ailleurs avec mon associé, la 'roadmap' n'est qu'orale ou dessinée sur des petits bouts de papiers, et elle a bien du évoluer une dizaine de fois depuis le début du projet :)
Romain.
Rédigé par : Romain | 16 avril 2010 à 10:25
M'en parle pas, je pilote une road map tous les jours... :)
Rédigé par : Charles-Edouard | 19 avril 2010 à 20:04